La troménie de Louppe et Heslouin… Locronan/Russie/Etats-Unis – art. 3/3

Louppe et Heslouin jouent les prolongations… (rédaction en cours)

En 1914, Albert Louppe est élu député contre Charles Daniélou, député sortant et maire de Locronan. Précédemment, il a été élu président du conseil général du Finistère en 1912, peu de temps après le terme de l’affaire des poudres et de sa carrière professionnelle (1911). La guerre contre l’Allemagne débute tout juste et elle va nécessiter beaucoup d’armes et de munitions. L’idée de se repositionner pour la fourniture de gilets par-balles fait son chemin. Un appel d’offres (restreint) se présente, quoi de plus naturel que d’y répondre. Observons qu’en haut de l’organigramme du personnel de l’armement, bon nombre de personnes, comme l’ingénieur Louppe, sont des anciens de l’école Polytechnique. Ces marchés s’opèrent dans une certaine discrétion et il est probable que peu de conseillers généraux du Finistère étaient au courant des contacts de leur président avec les responsables de l’armement militaire.

En fait, les détails nous ne les connaissons que tardivement, ils nous sont donnés par la consultation des archives financières. Les sociétés ou personnes concernées par les marchés de guerre ont été contraintes de déclarer leurs activités afin que l’administration fiscale puisse déterminer l’impôt correspondant aux bénéfices supplémentaires et, le cas échéant, aux bénéfices exceptionnels. Cela est donc bien le cas pour Albert Louppe ainsi que pour la poudrerie de Daoulas qui succédera à celle de la Forest-Landerneau (celle de feu Louis Cadiou).

Le 15 septembre 1915, un marché pour la fourniture de 30 000 cuirasses pare-balles “système Louppe” est conclu entre A. Louppe et la section technique du service du génie. Au préalable, comme il l’indique lui-même, il s’était rendu aux Etats-Unis afin, sur ordre du 15 juillet du Ministère de la Guerre, de mettre au point le processus de fabrication. Dans un courrier du 16 octobre 1916, il précise également qu’un stock de 94 000 cuirasses conservées à Saint-Hilaire du Harcouët a été enlevé par le Ministère de la Guerre (après quelques légères modifications). Cette marchandise, nous dit-il, a été cédée gracieusement à l’état par Gustave Heslouin (précisant, sans consultation des deux autres associés, Simonet et Louppe). Le courrier qui nous donne ces détails est une correspondance avec le service de contrôle des impôts, Dans le cas présent, A. Louppe s’ingénie à échapper à la taxation aux bénéfices exceptionnels et il ne lésine pas sur le côté patriotique de l’opération. Ci-dessous, l’intégralité du courrier dont il est question :

“A l’appui de la déclaration souscrite par M. Louppe, Ingénieur en Chef des Poudres et Salpêtres en retraite, député du Finistère, pour la Contribution extraordinaire sur les bénéfices de Guerre.

En vertu d’un marché passé le 15 septembre 1915 avec la section technique du Génie, j’ai fait fabriquer et fourni à l’Etat 30.000 cuirasses pare-balles du système Louppe. 

Ce marché de règlement a été établi après mon retour d’Amérique, où j’étais allé pour faire faire les installations nécessaires, pour régularisation d’un ordre du Ministre de la Guerre en date du 15 juillet 1915 me prescrivant de vouloir bien faire procéder à la mise en fabrication en Amérique des 30.000 cuirasses en question.

Les cuirasses pare-balles système Louppe, dont l’invention remonte à 1904, étaient fabriquées, avant-guerre, à l’usine de Saint-Hilaire du Harcouët (Manche), où le ministre de la Guerre a fait prendre à la fin de 1914, après de légères   modifications apportées sur place, un stock de 94.000.cuirasses d’un modèle léger, Et cela après abandon fait gratuitement à l’Etat, des dites cuirasses par M. Heslouin qui n’était propriétaire que du tiers. Cet abandon fait à coup sûr dans un but louable, n’en fut pas moins fait à l’insu des propriétaires des deux autres tiers, MM Simonet et Louppe, qui, vu la situation de la France en septembre 1914, n’ont pas voulu quand ils en ont eu connaissance tardivement, s’opposer à l’excécution de l’acte commis à leur détriment par M. Heslouin. Ils ont estimé que dans les moments tragiques que l’on traversait, tout acte patriotique de nature à augmenter la puissance militaire de la France, devait passer avant les intérêts individuels. 

Pour mon compte personnel, j’estime en outre qu’il ne pouvait y avoir qu’intérêt à ce qu’il soit procédé en grand, en France, aux essais de ces appareils. 

Ces 34.000 cuirasses, d’un type léger, furent donc mises en service dans les corps de troupe. Et pendant que les essais se produisaient sur le front, je fis à l’usine de Saint Hilaire du Harcouët, pendant les derniers mois de 1914, en présence d’officiers désignés par l’Autorité Militaire, de nombreuses recherches, en vue d’obtenir un type d’appareil plus résistant. Et cela sur la demande du Ministère de la Guerre qui désirait avoir un appareil résistant à bout prtant à la balle Allemande.

Après plusieurs essais infructueux, l’état où se trouvait alors l’industrie française ne me permettant pas de solutionner ce problème avec les ressources françaises, je priai M. Heslouin de se rendre en Amérique en vue de rechercher des aciers plus résistants et de s’assurer dans quelles conditions on pourrait y faire installer une ou plusieurs usines pour la fabrication des appareils.

A la suite de ces démarches, je réussis à préparer un appareil répondant aux conditions requises et les résultats obtenus dans les essais faits le 3 février à Auteuil, devant la commission de l’Armée confirmèrent les résultats que j’avais indiqués.

C’est dans ces conditions que le Ministre de la Guerre m’a précisé de faire fabriquer les 30.000 cuirasses en Amérique, ne voulant, à aucun prix, pour des motifs divers, à en assurer la responsabilité directe. 

Mais il restait à surmonter trois grosses difficultés :

a – la première, de faire installer l’usine pour la fabrication

b – la deuxième, de se procurer les matières premières

c – la troisième, d’exécuter la commande dans un délai de 65 jours.

Il convient d’ajouter qu’à ces difficultés d’ordre pratique s’ajoutaient les difficultés d’ordre théorique découlant des modifications susceptibles d’être apportées par le gouvernement, en cours d’exécution, à l’appareil primitivement conçu, difficultés qui se sont produites et qui n’ont pas été des plus faciles à surmonter. 

C’est donc dans ces conditions que répondant au désir qui m’était exprimé et par la Commission de l’Armée et par le Ministre de la Guerre, je n’hésitais pas à me rendre en Amérique pour y installer la fabrication et à assurer seul la responsabilité des dites fabrications

L’acier a été fabriqué selon mes indications, je me suis assuré la fourniture de tous les autres produits entrant dans la préparation des cuirasses. j’ai fait installer dans l’usine tous les appareils qui m’étaient nécessaires pour la mise en œuvre.

J’ai donc fabriqué moi-même les cuirasses, restant constamment responsable envers tous, Américains et gouvernement français. 

En un mot, en transportant, d’accord avec le Ministre de la Guerre, en Amérique, la fabrication des cuirasses, système Louppe, je n’ai pas fait acte accidentel de commerce, mais j’ai continué à assumer la fabrication de ces appareils, en vue de laquelle je disposais d’une usine en France, avec cette différence que le traité qui me liait à MM Simonet et Heslouin était venu à expiration dans les premiers jours de l’année 1915. Et n’ayant pas été renouvelé, je suis devenu seul fabricant de ces appareils. 

J’ai tenu à faire cet exposé sincère et véritable pour établir que dans l’exécution de la commande des 30.000 cuirasses fabriquées en Amérique, je n’ai pas fait un acte accidentel de commerce, mais que j’ai continué à faire acte de fabricant. Et que les intérêts que j’avais et que j’ai toujours dans l’usine de Saint-Hilaire du Harcouët ont été permanents et simplement transportés, temporairement, pour cause de force majeure, d’accord avec le gouvernement, en Amérique.

Une industrie de ce genre est forcément une industrie que l’on ne peut pratiquer d’une façon continue, puisque tout approvisionnement constitué à l’avance est un approvisionnement qui risque d’être perdu, attendu que les appareils à fabriquer sont, d’après leur nature même, appelés à subir d’incessantes modifications. 

Pour être fabricant par intermittence, on n’en reste pas moins fabricant. C’est pourquoi nous concluons : 

1 – que notre cas est un cas rentrant dans le 4e paragraphe de l’article 1er de la loi du 2 juillet 1916 et non dans les paragraphes 2 et 3 du dit article.

2 – que l’industrie que nous avons pratiquée, par suite de cas de force majeure, en Amérique, forme avec celle que nous pratiquions à Saint-Hilaire du Harcouët, un tout qui s’enchaîne et qui se lie, et qu’aucune considération ne saurait détruire. 

Brest le 30 octobre 1916 – signé Louppe

2 thoughts on “La troménie de Louppe et Heslouin… Locronan/Russie/Etats-Unis – art. 3/3

  1. Albert Louppe, polytechnicien, génial et breton. Comme Fulgence Bienvenue, Harel de la Noé et tant d’autres…
    Vouloir taxer pour bénéfices de guerre un homme qui a sauvé la vie de tant de combattants c’est un peu fort de café ! Peut-on en dire autant des fabricants de poteaux de mines, je ne sais…Je ne vois pas non plus ce qu’on peut reprocher à un homme qui s’est échiné à blanchir le linge des armées. Merci pour toutes ces informations. Puisque vous semblez, monsieur Seznek, avoir accès à des archives rares, sauriez vous me dire si la lettre envoyée le 25 mai 1923 au garagiste Ladam de Rennes est visible quelque part et si elle peut être sérieusement attribuée à Guillaume Seznec ? Je sais, ça n’a rien à voir avec votre sujet actuel, mais je voudrais bien en avoir le cœur net.

    1. @ASD, concernant l’ami Louppe je n’ai pas la même lecture à propos de son dévouement et de son attitude exemplaire. Cela vaut également pour Guillaume Seznec.
      Je n’ai rien à vous proposer au sujet du courrier Ladam, d’ailleurs jusqu’à présent les éléments à notre disposition concernant Rennes sont bien maigres et si le dossier de procédure ne contient aucune pièce, c’est qu’il y a un loup…

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