[Affaire pare-balles… les procès]
procès au tribunal de Mortain :
Le 14 janvier 1907 débute le procès pour contrefaçon et escroquerie qui oppose Heslouin (défendu par M° Clémenceau) et Simonet (défendu par M° Millerand) au ministre de la guerre russe, partie civile (défendu par M° Martini). Le colonel russe Zabulowsky est bien présent, assisté d’un interprète qui indique ne rien connaître de l’affaire. Au début de l’audience, le colonel russe précise les termes du contrat, il donne également la chronologie des évènements (son arrivée à Saint-Hilaire le 1er avril, l’acceptation par la Russie le 28 sur la base d’un échantillon reçu, les atermoiements pour un problème de balances…). Les différents des deux parties sur les poids poinçonnés occupent une grande partie de l’audience, on constate que cet épisode s’est déroulé tout le long du mois de juillet. L’audience se termine par les dépositions des témoins de moralité pour Heslouin et Simonet (dont Armez, député des Côtes du Nord et maire de Plourivo).
La deuxième audience embrouille un peu plus les esprits. On apprend ainsi que le colonel russe, à cours de monnaie, a emprunté 500 francs à Heslouin !. Un incident de séance intervient entre Heslouin et le vérificateur des Poids d’Avranches, Pompon. L’avocat Clémenceau s’en mêle en reprochant au fonctionnaire d’être monté en train en 1ère classe, lors d’un déplacement, muni d’un billet de 3ème classe. Le maire de Saint-Hilaire du Harcouët y va aussi de son couplet, affirmant que le comptable Javaudin lui aurait dit que le mécanicien de la société Bonduelle aurait faussé les poids. Conséquence de cet imbroglio, l’audience s’achève par une demande d’un complément d’enquête par M° Clémenceau, Heslouin et Simonet.
La troisième séance, le 24 janvier, est à l’image de la précédente. Plusieurs témoins sont appelés à témoigner dans une certaine confusion, chacun mettant en cause des personnes absentes. La politique locale s’immisce également dans les débats, la presse est mise en cause, notamment le journal le Radical. Dans l’attente des résultats de compléments d’enquêtes l’audience suivante est renvoyée au 11 mars.
La presse du 13 mars nous relate cette nouvelle audience, les débats, bien que fastidieux, sont toujours suivis par un public nombreux. Monsieur Simonet est interrogé sur les mêmes points que son co-accusé Heslouin l’a été lors de l’audience du 12 janvier. Il précise que les modifications demandées par le colonel russe et coûteuses pour la société, ont eu une incidence sur le poids des plastrons. L’autorité russe aurait donné son accord verbal pour le dépassement de poids. Il admet l’existence des faux-poinçoins mais indique être incapable d’en donner l’explication. Maître Martini, avocat de la partie civile, insiste sur la correction de l’autorité russe et il met en avant la confusion des débats et les contradictions des intervenants? L’audience se termine par la prise de parole de Maître Millet pour le ministère public, curieusement il fait l’éloge de Simonet et Heslouin et demande leur acquittement. Les débats sont mis au lendemain.
Lors de cette dernière audience le procès prend fin par la plaidoirie de Maître Clémenceau. Fort de son éloquence, il demande qu’en plus de l’acquittement qu’il considère évident, soient balayées toutes les suspicions qui portent atteinte à l’honnêteté de ses clients. S’il y a présomptions dit-il, ce sont des présomptions d’innocence. La séance est levée, l’affaire est mise en délibéré et le jugement renvoyé au 23 mars.
Les journaux du 24 mars nous informe du jugement du tribunal de Mortain : les prévenus Simonet et Heslouin sont acquittés et la partie civile est déboutée de sa demande de dommages-intérêts, mais condamnée aux dépends.
procès au tribunal de Brest :
L’affaire au civil est évoquée le 8 avril 1908 en ces termes : “La Russie contre MM Simonet et Heslouin“. Les parties demandent, d’un commun accord, un report aux 3 et 4 juin, cette demande est accordée. En ce 3 juin, Simonnet et Heslouin ont toujours comme défenseur Albert Clémenceau assisté de Maître Berton, tandis que du côté russe MM Du Buil et Martini sont à la manœuvre pour demander l’annulation pure et simple du contrat de fourniture des 100 000 pare-balles et du remboursement du règlement de 1 800 000 francs déjà versé. Simonet et Heslouin par l’intermédaire de leur avocat, demandent la nomination d’experts. A la fin des plaidoieries l’affaire est mise en délibéré.
Le jugement est rendu le 17 juin. La résiliation du marché est refusée ainsi que la demande d’experts. La société Heslouin et Simonet est mise en demeure d’honorer la commande dans un délai de 15 jours, faute de quoi elle devra rembourse 25 000 francs au gouvernement russe sur la somme déjà versée. Jugement plutôt satisfaisant pour le duo Heslouin Simonnet, cela permettant d’éviter d’autres complications probables avec le gouvernement russe.
Ainsi se termine cette piteuse affaire des pare-balles avec les autorités russes. Durant ces années 1907-1908, Albert Louppe se montre bien discret sur le sujet, mais son “patriotisme” le pousse à s’y intéresser de nouveau en 1915. Dans l’intervalle, il aura fort à faire avec le scandale des poudres, cela marquera la fin précipitée de sa carrière professionnelle, mais de cela nous en parlerons plus tard et pour l’heur enjambons la période pour passer à l’épilogue de notre histoire de pare-balles.
Evoquons brièvement un évènement rocambolesque intervenu début novembre 1908 et qui concerne notre trio d’associés. S’en revenant en voiture de la poudrerie de Sevran-Livry, Heslouin, Simonet et Louppe ont la malchance de rencontrer brutalement un troupeau de bœufs dans la traversée de Pavillon-sous-Bois. Effrayé par le bruit occasionné par le passage d’un train à proximité, un bœuf eut l’idée saugrenue de s’échapper du troupeau et de se frotter peu délicatement à l’avant de l’automobile. Heslouin essaya d’intervenir pour écarter l’animal, s’ensuivit une bousculade lors de laquelle le bœuf un brin énervé s’enfourna la tête violemment dans le garde-phare et tomba raide mort. Plus de peur que de mal pour les occupants du véhicule, qui en plus de nos trois spécialistes des pare-balles, transportait Franklin-Bouillon (légèrement contusionné), directeur du journal “Le Radical” et Mutel, expert en poudres, sans oublier le chauffeur.
[… article à suivre… Louppe et Heslouin jouent les prolongations ]
Intéressante chronique judiciaire…Merci !