Ce blog ayant été réactivé “à son insu de son plein gré”, profitons-en pour deviser calmement sur le sujet qui enflamme quelques esprits blindés de certitudes. L’affaire Seznec, depuis 1923, revient régulièrement au-devant de la scène (1926, 1930-32, 2004-2006…) mais en final, les “experts” s’épuisent, les polémiques se dégonflent, le procureur prend des vacances… mais le sujet reste entier, retour à la case départ.
Près de cent ans après la disparition de Pierre Quéméner, il est peut-être temps de penser “histoire” plutôt que “justice”. S’en tenir aux faits devrait être la règle pour tous. Que les familles concernées y dérogent ne me paraît pas scandaleux, de même on peut parfaitement comprendre la démarche d’un avocat s’employant ardemment à la défense de son (ancien) client. Ceci étant dit, voyons objectivement de quoi il est question dans le débat actuel, penchons-nous sur ce témoignage de Petit-Guillaume, source de tant d’inepties lues ici et là.
Dans son ouvrage “Pour en finir avec l’affaire Seznec”, Denis Langlois nous donne la transcription du témoignage enregistré du fils de Guillaume Seznec (pp 210-217). Cela se passe le 25 janvier 1978, soit cinquante-cinq après les faits. Le témoin racontant l’agression de sa mère, nous rapporte des propos entendus par lui…
D’une part, au moment de l’agression :
“- Elle disait : Ah! non, Pierre, pas vous, non!” – Et puis : Laissez-moi tranquille ou j’appelle”…
Puis, Guillaume de retour de son voyage, découvrant la scène :
“On est ruinés, on est ruinés. Tout l’argent qu’on lui a donné, on n’en reverra jamais la couleur.”
Ce sont sont là les seules phrases dont se souvient Petit-Guillaume, tout le reste n’est que souvenirs, commentaires et interprétations par lui de cette journée et des développements de l’affaire.
Ainsi, il se souvient : d’être monté sur le bord de la fenêtre et d’avoir assisté à la scène, de voir A. Labigou présente dans la pièce, d’avoir vu un candélabre “de traviole”, que cela se passait en fin de matinée, que son père est arrivé dans le courant de l’après-midi, qu’on leur a fait prêté serment de ne rien dire (à lui et à Angèle), qu’il a été reconduit au collège…
Il se souvient aussi : d’avoir vu des travaux à Traon-Velin sans se rappeler de la date, d’avoir entendu parler d’échanges tendus entre sa mère et la police…
Il parle d’une somme de 700000 francs économisée par ses parents… – il commente l’ambiance familiale en évoquant Jeanne (sa soeur), Denis (son neveu) ainsi que son père – il nous donne son opinion sur des défenseurs de la cause, notamment Bal et Hervé – et il termine sur un sujet qu’il peine à digérer, celui des faux, réalisés selon lui par défaut.
Dans tout ce fatras, il y a des éléments très discutables parce que faux et qui rendent l’ensemble du témoignage peu crédible.
Tout d’abord, il y a le retour de Guillaume Seznec le dimanche après-midi alors qu’à ce moment-là il se trouve du côté de Rennes – rappelons qu’à l’aller il lui a fallu 8 heures pour faire Morlaix-Rennes. Donc, pas possible… sauf si on avance d’un dimanche (on n’est plus à ça près), mais dans ce cas, pour cause de lundi de Pentecôte, l’écolier Petit-Guillaume ne rentre pas dîner au pensionnat… et ça colle donc pas non plus avec son témoignage
Improbable que la scène telle que décrite par Petit-Guillaume conduise sa mère à s’exprimer devant Pierre Quéméner en français; jusque dans les années soixante, un tel fait bruyant entre deux bretonnants, qui plus est, susceptible d’être entendu par des enfants, ne peut se produire qu’en breton… je ne demande qu’à être contredit, mais cela ne va pas être simple…
Le couplet sur le juge Hervé est d’une bêtise abyssale et discrédite à lui seul l’ensemble du témoignage. Les propos tenus sont odieux, diffamatoires et portent atteinte à la respectabilité de la famille de Charles-Victor Hervé. Ce dernier n’a jamais été espion ou chef-espion pendant la grande guerre, je ne sais qui est à l’origine de cette idiotie, mais lorsqu’on la répète et qu’on insiste en claironnant que cette personne pendant cet épisode a martyrisé et tué, on place très loin le curseur de la calomnie.
Vous l’avez sans doute compris, je n’accorde aucun crédit au témoignage de Petit-Guillaume et si d’aventure traces du Pierrot il y avait dans les scories de Traon-Velin, convaincre du coup fatal du candélabre, du canapé ou du fauteuil breton ne va pas être une partie de plaisir… à moins que les spécialistes du Texas et d’Eure et Loir conjuguent leurs efforts pour y arriver…
Pour ce qui est des développements en long, en large et en travers sur un possible deuxième voyage Morlaix-Paris-Morlaix par Guillaume Seznec, on dépasse allègrement tout ce qui a été écrit de surréaliste sur cette affaire. La manipulation est quand même osée et grossière : on gomme d’un revers de main toute une série de témoins (du dentiste Coquelin aux serveuses du Plat d’Etain) pour ne garder qu’un témoin “fiable” : Petit-Guillaume, et à partir de là on échafaude tout un programme éreintant pour le père Guillaume… et pour sa torpédo.
Au fait, est-on si sûr de l’absence de toute preuve de la survie de Pierrot après les fêtes de la Pentecôte ? – quelle crédit accorde t-on au télégramme transmis par lui à Jean Pouliquen, à la poste de Rennes, le 24 mai au soir (à 21 h. nous précise le document) ? – sans doute encore un faux, n’est-ce-pas ? – toujours est-il que ce “faux” est consultable dans le dossier de procédure criminelle, mais doit-on accorder une quelconque importance à tout cela alors que les archives américaines regorgent de renseignements de première bourre sur toute l’affaire ?
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