Reprenant timidement contact avec le feuilleton Seznec, je viens de prendre connaissance d’articles ayant trait au fameux bureau de poste N°3 du boulevard Malesherbes. Quéméner s’y est-il déplacé le 26 mai ou plutôt Seznec le 2 juin ? Pas plus que quiconque, je n’en sais fichtre rien et l’hypothèse que personne ne se soit présenté pour réclamer le pli me paraît plausible. Mais je crains que sur ce point comme sur beaucoup d’autres, on reste bloqué sur les éléments de 1923. Les palabres n’y changeront rien et effectivement, il semble étonnant que le camarade Bégué (comme bien d’autres) n’ait pas suscité la curiosité de la presse d’époque ou plus tard de Denis Seznec.
Voyons ce que nous dit Pouliquen dans sa « primo-enquête ». Le lundi 4 juin, après avoir contacté la Société Generale pour savoir si son chèque avait été encaissé et de faire opposition du fait de la réponse qui lui fut faite, il télégraphie à la Poste N°3 : «… je télégraphiais immédiatement poste restant numéro trois à Paris, pour savoir si le chargement que j’avais expédié avait été retiré ; il me fut répondu négativement et je mis opposition désormais sur ce chargement. »
Le 12 juin, Pouliquen se présente à la fameuse poste : « .. je demandais s’il y avait un chargement au nom de M. Quemeneur. L’employé répondit affirmativement et me demanda si j’avais sur moi des pièces d’identité. Je lui fit savoir que c’était moi l’expéditeur du chargement et non le destinataire ; je le priais à l’avenir de ne délivrer le chargement à personne et lui demandais s’il n’avait pas été réclamé. L’employé me fit savoir que la lettre avait été réclamée, mais comme il n’était pas de service ce jour-là il me pria de passer l’après-midi et je pourrais voir son collègue qui se trouvait au guichet… Je revins en effet l’après-midi et après avoir consulté un petit calendrier, l’employé me fit savoir que le chargement avait été par deux fois réclamé le samedi. Je lui fit remarquer que le samedi 26 juin (lire mai) la lettre n’était pas encore arrivée et qu’en effet il n’avait pu la délivrer ce jour-là. L’employé me laissa dire. Mais depuis, quand il a connu la gravité du témoignage qui lui était demandé, cet employé s’est rétracté formellement et a affirmé que c’est le samedi 2 juin que le chèque lui avait été demandé et que c’est par inadvertance qu’il a répondu à la personne qui s’était présentée, que le chèque n’était pas arrivé. »
Donc, le 4 juin la Poste répond officiellement à Pouliquen que le pli n’a pas été réclamé, mais le 12 juin, on lui dit qu’une personne s’est présentée deux fois le 26 mai pour le réclamer, mais qu’en fait ce n’est pas la bonne date… qui est finalement le 2 juin. Quand ça veut pas… ça veut pas !
De cet imbroglio, certains ont déduit des certitudes : tantôt c’est Pierre Quéméner qui s’est manifesté le 26 mai (donc il était bien vivant), tantôt c’est Guillaume Seznec le 2 juin (donc meurtrier potentiel). Je privilégierai la réponse du 4 juin de la Poste à Pouliquen, qui concerne un pli chargé déclaré pour 10000 francs (pour 60000 francs) adressé par un notaire, donc pas vraiment anodin. Je ne crois pas à l’inadvertance à tous les étages.
Chose étonnante, lors de son passage au bureau de poste, Pouliquen était accompagné de Louis Quéméner et d’un agent de recherches (déclaration du 30 juillet de Pouliquen au juge Campion). A ce jour, nous ne savons pas si le dossier d’instruction contient des éléments sur ce point.
Et Denis Seznec, que dit-il sur le sujet ?,
Reprenant mes notes, je m’aperçois d’un détail qui m’avait échappé précédemment. Concernant le pli chargé, réclamé ou non, Denis Seznec en parle dans son ouvrage (page 128).
«… en 1979, j’ai retrouvé un rapport établi le 21 juin 1923 par le contrôleur général des services de recherche judiciaire, à l’intention du procureur de la République de Brest. Dans ce document, le fonctionnaire fait part des faits suivants.
« Un individu s’est présenté, à deux reprises, le samedi 26 mai, au bureau de poste numéro 3, 6, bd Malesherbes à Paris. Il a exhibé des papiers d’identité au nom de Pierre Quemeneur et il a demandé s’il n’y avait pas une lettre recommandée à son nom. Il lui fut répondu négativement et cela est logique, puisque le pli n’a quitté Pont-l’Abbé que le 26 (cote 7 bis). »
Il est d’usage lorsqu’on cite une cote en présentant au lecteur un extrait de document, d’être fidèle au document en question. Chaque phrase, chaque mot a son importance, tout changement pouvant être qualifié de falsification, de manipulation.
Pour déterminer dans le cas présent le qualificatif idoine, je vous propose la reproduction correspondante du document d’origine (source : rapport Camard) :
Paris, le 21 juin 1923.
Le contrôleur Général des Services de Recherches Judiciaires,
à Monsieur le Procureur de la République de Brest.
« J‘ai l’honneur de vous transmettre, sous ce pli, une déclaration adressée à M. le Directeur de la Sûreté Générale, par laquelle M. Pouliquen, notaire à Pont l’Abbé (Finistère), signale la disparition de son beau-frère, M. Quemeneur Pierre, 45 ans, négociant à Landerneau, et Conseiller Général du Finistère, ce dernier, parti de Landerneau le 24 mai écoulé, à des tination de Paris, n’a plus été revu, en effet, depuis le 25 au soir, date à laquelle il quittait à Dreux un de ses amis, M. Seznec, pour prendre le train de Paris.
Le lendemain de ce jour, c’est-à-dire le 26 mai, une personne se présentait au bureau de poste numéro 3, Boulevard Malesherbes, à Paris, et demandait au guichet de la poste restante si un pli chargé n’était pas arrivé à l’adresse de M. Quemeneur Pierre, négociant à Landerneau. Sur la réponse négative de l’employée, cette personne, qui n’a pu être encore identifiée, se retira et ne s’est plus représentée depuis.
Il est exact par ailleurs qu’un pli chargé a été effectivement expédié par M. Pouliquen à son beau-frère Quemeneur. Ce pli est toujours en souffrance au Bureau de Poste… »
Les deux parties en gras devraient normalement être identiques. Ben non ! En fait, Denis Seznec propose au lecteur un mix du commentaire de Claude Bal dans son ouvrage « Seznec était innocent » d’une part, et d’autre part de la lettre du Contrôleur de la Sûreté adressée au procureur de Brest. Voilà comment le roman s’insinue furtivement dans des éléments qu’on nous présente comme officiels.
N’oublions pas que quelqu’un attendait Pierre Quéméneur à Paris. Ce quelqu’un avait rendez-vous avec lui à 8h le samedi 26 mai 1923 avenue du Maine.
Ce quelqu’un correspondait avec Pierre Quéméneur poste restante, 6bd Malesherbes.
Supposons que Pierre Quéméneur ne se soit pas présenté au rendez-vous. Soit parce qu’il a été tué la veille par Guillaume Seznec, soit parce qu’ il a pris un train à Dreux pour rentrer en Bretagne. Je vois bien son correspondant parisien se rendre au bureau de poste espérant y trouver un éventuel courrier d’explication et par la même occasion s’enquérir du pli chargé dont il était au courant puisque qu’il s’en était entretenu la veille par téléphone avec lui.
Par contre que le 2 juin Guillaume Seznec ait essayé de récupérer un chèque barré, émis par Jean Pouliquen, en espérant l’encaisser sans histoire me paraît assez invraisemblable ! Mais il paraît que cet homme aimait l’argent ! Ou du moins en manquait…
Le problème est que tout cela ne tient que sur des témoignages et non sur des éléments tangibles et pas de chance, même là où on aurait pu avoir une preuve incontestable, au bureau de poste, on se retrouve avec un témoignage boîteux… la scoumoune !