la pension d’invalidité du matelot François Le Her : cas pratique où nos imposteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes
1 – François Le Her rencontre en 1930, lors d’une réunion au Cercle Léo Poldès, Jeanne Seznec, fille de Guillaume Seznec. Ils se marient en 1936, après le décès (suicide en 1933) de l’épouse de François Le Her. De par ses déclarations relatives à la disparition de Pierre Quéméner, il devient un témoin-clé de la défense lors de l’instruction de 1923. Lors du procès en octobre/novembre 1924, son témoignage est mis à mal par l’accusation et naît alors un soupçon pour expliquer son comportement : il aurait reçu un avis, lors du procès de Quimper, du service des Pensions, lui notifiant un invalidité à 100%. Ceci est repris sans autre précision par différents auteurs (Michel Kériel, Denis Seznec…). Qu’en est-il réellement de cette pension d’invalidité.
A la fin des hostilités, François Le Her, démobilisé, retourne à la vie civile (période militaire effectuée dans la Marine Nationale). Il se plaint de problèmes de vue et s’adresse au service des Pensions pour une prise en compte de son invalidité. Après examen, celle-ci est reconnue et il lui est accordé un taux d’invalidité à 40 % pour une durée de 4 ans (du 7 novembre 1919 au 6 novembre 1923) – cette décision est renouvelée en novembre 1923, et ce à titre définitif . François le Her ne se satisfait pas de cette situation et insiste auprès de l’administration afin qu’elle reconnaissance une invalidité correspondant à une cécité totale – cécité qui ne l’empêche pas de conduire et de renouveler tous les ans son permis de chasse. En 1930, il parvient à ses fins, une invalidité à 100 % lui est octroyée à titre définitif. Voilà le gars François, brillant mythomane et mystificateur talentueux, armé de son précieux sésame.
On peut se demander à juste titre où est l’erreur ? La réponse, sans artifices, nous est donné par ce document (en fin d’article) consultable sur le blog “la piste de Lormaye” – les précisions pré-citées figurent également sur ce même document. C’est limpide : “Tous les gens qui ont connu Le Her sont venus témoigner qu’il n’était pas aveugle. Pour justifier cette erreur ou plutôt pour cacher la mesure de faveur dont avait bénéficié scandaleusement Le Her, on a donné ce motif : – à chaque tentative d’examen, Le Her présentait un tremblement de tête et des membres qui rendaient impossible la poursuite des épreuves” (rapport d’audience du tribunal départemental des pensions du Finistère – le 31 /03/1950).
Chapeau l’artiste – mais quel lien avec le procès de Quimper en 1924 ???
2 – Denis Le Her, dans Nous les Seznec nous fournit quelques explications – à sa façon bien entendu, c’est-à-dire assez éloignée des faits. Reportons-nous à la page 265 de l’ouvrage. Après avoir clamé à ses lecteurs : “Rien ne doit empêcher de connaître la vérité” (haut de page) – ce qui ne manque pas de sel – il évoque le carnet de pension de son père : “Après la mort de mon père, le 2 octobre 1948, ma mère a découvert un carnet. Pendant vingt-cinq années, Le Her en avait soigneusement caché l’existence à ses proches et à sa première femme Michèle. Il le dissimulait sous un tapis et il continua de le faire même lorsqu’il disposera d’un coffre-fort. Ma mère me le transmettra comme un trésor caché. C’est un carnet de pension militaire d’invalidité au taux de cent pour cent (article 10 définitif) attribué à François Le Her en date du… 28 octobre 1924 ! Autrement dit en plein procès, au moment où l’on commence à évoquer son témoignage. Il recevra ce carnet de pension à Quimper, en paquet recommandé, le jour même de sa comparution. Ainsi donc, cinq ans après la fin de la guerre, le ministre des Anciens Combattants s’est soudain préoccupé du cas Le Her. Et jusqu’à sa mort mon père touchera régulièrement cette pension d’invalidité totale… bien qu’il possède le parfait usage de tous ses membres et de tous ses sens…. Comment expliquer une si opportune pension de guerre ? … à ce témoin, si affirmatif et donc si gênant, on aurait dit : – si vous nous promettez de vous montrer docile lors de votre audition, vous serez récompensé. Nous ne vous demandons pas de vous rétracter, cela paraîtrait bizarre, mais de vous laisser traîner dans la boue, ce qui reviendra au même. En échange, nous vous donnerons de l’argent, sous forme d’une pension à vie…”
A la page suivante de Nous les Seznec (p. 266), l’auteur nous en remet une couche. En note de bas de page, on peut lire : “Une autre explication à cette étrange rente a été fournie à Me Denis Langlois par le secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants lui-même, le 16 mai 1977. Comme l’avocat demandait des précisions sur la pension dont avait bénéficié Le Her, il lui fut répondu que celle-ci avait été concédée “par suite d’une erreur médicale”. Si l’on accepte cette thèse, on ne peut que s’étonner qu’une telle erreur ait été reconduite pendant vingt-quatre ans, au cours desquels les pages du carnet d’invalidité ont été régulièrement mises à jour et ont porté les timbres officiels des commissions de vérification des ministères successifs. Ainsi, pendant toutes ces années, on aurait pris un homme en parfaite santé pour un invalide à cent pour cent.”
Denis Le Her Seznec tait des éléments du dossier de manière à proposer une vision toute personnelle de l’histoire. La citation que vous venez de lire en est un exemple frappant. La demande de renseignement de Denis Langlois ainsi que la réponse de l’administration peuvent être exactes, il n’en demeure pas moins que le document sur lequel s’appuie notre article est incontestable et connu obligatoirement de la famille Seznec pour la simple raison qu’il s’agit d’un extrait du greffe du tribunal, adressé par la mère de l’auteur, Jeanne Seznec, le 4 décembre 1953, au commissaire Gillard, de la Sûreté Nationale.
Pour illustrer son propos, l’auteur présente en annexe de l’ouvrage, trois extraits du fameux carnet de pension – sur un de ces extraits, on peut (difficilement) lire une date, 20 (ou 28 ?) octobre 1924 (ou 1934 ?) qui semble être l’élément sur lequel s’appuie Denis Le Her pour bâtir son raisonnement. Par la lecture du document dont il est question précédemment, on se rend bien compte que tout cela est erroné. Alors, manipulation ou pas ? Que pourrait avancer l’auteur pour sa défense ? A vrai dire, en la circonstance, son cas est désespéré. Jusqu’à présent, il s’est bien gardé de présenter ce carnet et on ne voit pas bien comment il aurait pu ignorer le document pré-cité, qui, en quelques lignes, détruit toute sa démonstration.
Cette page 265 de Nous les Seznec, pour ce qui est de l’exactitude, est un modèle du genre. On y apprend, en note de bas de page que François Le Her a connu des faits de guerre restés jusqu’alors totalement inconnus des historiens spécialistes de la période. Ainsi, l’auteur nous précise : “Certes il avait été l’un des quelques survivants du cuirassé Danton, coulé aux Dardanelles en 1915 avec des centaines de marins. Mais, recueilli par un navire italien, il avait regagné la France en parfaite santé.” Je suggère au lecteur de courir à la prochaine conférence de l’auteur et de lui demander des précisions, car aux dernières nouvelles, le Danton a été torpillé le 19 mars 1917, au large des côtes de la Sardaigne et non aux Dardanelles et parmi les quatre survivants, il n’est point d’un dénommé François Le Her.
Décidément, il est grand temps que l’héritier de la cause passe la main et s’écarte de cette histoire avant qu’il ne devienne la risée de tous ceux qui l’ont encensé. Toujours se méfier de l’ingratitude qui dort. Si en son temps, Denis Langlois reçut le prix des Droits de l’Homme pour son ouvrage sur l’affaire Seznec, Denis Seznec attend-il que lui soit décerné le prix de l’imposture pour l’ensemble de son œuvre ?
Comment est-ce possible que Denis Le Her-Seznec soit encore crédible ?
Combien de “menteries” faut-il pour mériter le statut d’imposteur ?
… une solution de secours : rendre public le contenu du carnet de pension d’invalidité… – on peut rêver ! –