Nous commencerons donc l’année par un article, un de plus direz-vous, sur le travail d’investigation de notre conférencier national. Dans son œuvre Nous les Seznec, Denis Seznec évoque les déclarations de Mme Henriette Sallé (née à Monaco, divorcée Robert). Cette personne apporte des précisions sur sa relation personnelle avec Georges Dehainault (témoin de l’achat au Havre de la Royale10) et sur les confidences de ce dernier. Nous ne nous attarderons pas ici sur les propos de Mme H. Sallé. Par contre, nous sommes surpris de la présentation des faits par l’auteur de l’ouvrage – si le titre de l’article pose la question : manipulation ou amateurisme coupable ?, pour ma part, je crains fort que ce soit la besace “imposture” qui s’alourdisse encore… à vous de juger.
Reportons-nous au bas de la page 153 de Nous les Seznec (edit. 2006) – on peut y lire :
“Toujours à propos de ce témoin, le 3 décembre 1953, l’avocat de notre famille, Me Raymond-Hubert, recevra une lettre d’une certaine Henriette Sallé.”
Problème : cette lettre n’existe pas, elle est imaginaire, pour la raison toute simple qu’en cette année 1953, Mme Sallé (après en avoir parlé au journaliste Danjou, et attendu en vain qu’il agisse) contacte, par téléphone, le cabinet d’avocat de Raymond Hubert, celui-ci la convoque et c’est donc la secrétaire de Raymond-Hubert qui frappe la déclaration de la “certaine” Mme Sallé, cette dernière en chair et en os en face d’elle. Quel intérêt pour Denis Seznec de tromper les gens sur ce point ? Aucun à première vue. Par contre, si on y ajoute l’élément suivant, on peut esquisser une explication.
En page 155 (haut de page), on lit :
” En 1955, à la suite d’une nouvelle requête en révision, un policier, le commissaire divisionnaire Camard, sera chargé de retrouver cette madame Henriette Sallé, témoin capital s’il en fut. Or, que peut-on lire dans son rapport ? “Je n’ai pu entendre Mme Henriette Sallé. Elle se trouve en Algérie à l’adresse suivante : chez Mme Tabart, 2, rue Pélissiere à Oran“. Voilà ce qui est surprenant. Nous sommes en 1956 et officiellement du moins l’Algérie est un département français. Pourquoi le policier ne demande-t-il pas une extension de sa commission rogatoire pour aller interroger cette madame Henriette Sallé ? Il aurait pu aussi la faire interroger par ses collègues d’Oran. Rien de plus simple. Pourtant, il laissera tomber cette piste capitale.”
Il y a peu encore, je ne voyais rien à contester à ce passage. Aujourd’hui, je conseillerai vivement à l’auteur de penser à le modifier dans la prochaine réédition définitive. Le rapport Camard est remis à l’administration judiciaire vers la mi-1956, cependant l’enquête n’est pas close et les derniers pv d’audition sont adressés fin 1956, dont celui de Mme Henriette Sallé. Dame Henriette demeurait à l’époque à Paris, mais ayant vécu précédemment en Algérie, elle s’y rendait épisodiquement pour de brefs séjours. Elle a donc été entendue le 4 octobre 1956 dans les locaux parisiens de la police judiciaire. Dans sa déclaration, elle confirme le point précédent, à savoir son témoignage au cabinet de Me Raymond Hubert. Elle nuance ce témoignage mais n’apporte rien d’essentiel qui fasse avancer l’affaire. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir.
Pourquoi donc Denis Seznec s’ingénie à nous faire croire que Mme Henriette Sallé n’a jamais été auditionnée par qui que ce soit, alors qu’elle s’est déplacée chez le défenseur, Raymond Hubert, et chez les enquêteurs ? Fallait-il que cette dame reste absolument une inconnue ? Il est possible que dans le cas présent, la tromperie manifeste aide à “absorber” le manque du “curiosité” de la défense, car à ce moment précis, la défense est lambeaux (famille divisée, intérêts défendus par Claude Bal d’une part et Raymond Hubert d’autre part). Je ne crois pas une seconde à une erreur de l’auteur et il est vrai, qu’à moins de se plonger dans le dossier, l’erreur ne peut être relevée – en conséquence, le lecteur lambda continue à penser qu’il a en main un récit historique honnête et sérieux, alors qu’il est en grande partie, bidonné.
En fait, je peux affirmer, en fonction des nombreux écarts coupables entre Nous les Seznec et le rapport Camard, que Denis Seznec a sciemment trompé ses lecteurs et son public. Avoir dans sa main gauche la copie du pv d’audition d’une personne et de sa main droite s’offusquer par clavier interposé que cette personne n’a jamais été interrogée… si ceci n’est pas une imposture flagrante, quel qualificatif faut-il alors utiliser ?