Dimanche dernier, à la lecture de la presse locale du matin, une nouvelle bien triste se répandait très vite dans Morlaix et ses environs : Claude Rideller venait de s’éteindre à 84 ans. Un “monument” de la vie morlaisienne disparaissait, prenant de court tout le monde tant on s’était fait à une sorte d’immortalité du duo de commerçants mère-fils de la rue de Brest.
Il nous reste le souvenir de ce magasin de chaussures atypique, les amoncellements de boîtes dans cet espace réduit où le client ne s’aventurait guère, laissant le maître des lieux opérer avec efficacité et gentillesse, en fonction des desirata du client. Trois générations de clients garderont en mémoire l’image de Claude Rideller grimpant dans les étages et descendant quelques minutes plus tard avec sous les bras un nombre impressionnant de boîtes ; pendant ce laps de temps, sa maman Françoise (Soazig), imperturbable et affable, faisant un brin de conversation avec la clientèle. Un décor et des personnages d’une autre époque qui avaient suscité de l’intérêt au-delà du département (émission Faut pas rêver…). Respect M. et Mme Rideller.
Ses obsèques ont eu lieu hier mardi, en l’église de Saint-Martin. Coïncidence curieuse, cette disparition se produit au moment même où apparaît une nouvelle publication sur l’Affaire Seznec. Et alors, me direz-vous, où voulez-vous en venir ? Effectivement, une explication s’impose, remontons le temps.
Claude Rideller est fils unique, né en 1936 (sans postérité), de Françoise Rams (né en 1907) et d’Yves Marie Rideller (né en 1901). Sa mère Françoise est la fille de Marie-Françoise Barbier et Julien Rams (mariés en juin 1899), deux frères la précédent : François-Marie, né en 1900 et François, né en 1902. L’épouse de Julien Rams décède en 1914, il se remarie la même année avec Marie-Yvonne Madec. L’établissement Rams (débitant de tabac), rue de Brest, avait pour client Guillaume Seznec. Le papier timbré n°195 qui a servi à la confection de la (ou des) fameuse(s) promesse(s) de vente en provenait, vendu peut-être par Mme Rideller car dès ses 14 ans elle officiait derrière le comptoir. Seznec et Julien Rams se connaissaient bien, le 3 juin 1923 (qui suit un aller-retour en train de Seznec à Paris) ils se déplacent à Trégastel pour des coupes de bois et, selon les dires de Seznec, pour se mettre d’accord avec un certain Pauvy pour un service de transport de pommes de terre. La commission Camard apportera un peu de clarté à l’emploi du temps indiqué par Guillaume Seznec. Julien Rams, fatigué par la maladie, mettra fin à ses jours en janvier 1924. Par la fermeture du magasin début 2019 (touché comme bien d’autres par l’inondation du dimanche 3 juin 2018), puis le décès de Claude Rideller, c’est sans doute le dernier lien morlaisien tangible avec l’affaire Seznec qui disparaît. A ma connaissance, Mme Rideller (décédée en 2002, à 98 ans) ne s’est jamais exprimée publiquement sur le sujet, son témoignage nous manque cruellement.
Au moment où Claude Rideller tirait sa révérence, paraissait un nouvel ouvrage sur l’Affaire Seznec. Son auteur nous promettait un dénouement spectaculaire, avec des conséquences judiciaires inévitables conduisant à innocenter Guillaume Seznec. Soit, mais après analyse du contenu de la publication, qu’en est-il ? Pour parler franc, je ne m’attendais pas à grand chose et je n’ai pas été déçu, je dirai même que j’ai été servi : le bric-à-brac proposé dépasse la pensée du trio Privat, Bal et Hervé. Je suis prêt à accepter une arnaque aux voitures américaines destinées à la nomenklatura soviétique, avec ou sans Charly, mais il faudrait au préalable que l’auteur m’explique où était Pierre Quéméner le 25 mai entre sa sortie du Plat d’Etain à Houdan (envir. 21h30) et sa montée dans le train du matin de 3h48 en gare du même lieu ; 6 heures assis sur sa valise, cela paraît beaucoup, même par une nuit de pleine lune. Par ailleurs, il serait bon d’avoir quelques éléments probants sur l’emploi du temps à Paris du même Pierre Quéméner le samedi 26 mai (le rendez-vous foireux, la banque, le bureau de Poste, le retour en train…). Ce serait bien aussi que l’auteur nous explique ce qu’il entend par sources, car le lecteur les cherche en vain. Dans les travaux d’histoire on ne peut pas remplacer la rigueur et la précision des sources par un raisonnement par l’absurde du genre j’affirme quelque chose et tant que personne ne m’oppose un argument qui me sied, cette affirmation fait foi. Vous remarquerez que je ne cite ni le titre de l’ouvrage ni le nom de l’auteur, c’est une précaution d’usage afin de ne pas enfreindre la loi sur la propriété intellectuelle que l’auteur sort de façon récurrente, en l’interprétant à sa sauce et tout en s’asseyant dessus dans son propre ouvrage. Il y a bien matière à commenter sur l’oeuvre de fiction concernée, mais, à la réflexion, je me demande si ce n’est pas là une perte de temps.
Terminant cet article, je me suis demandé comment faire comprendre au lecteur, de façon concise et claire, l’intérêt de ce dernier ouvrage. M’est venu à l’esprit la représentation de “l’égouttoir” de Marcel Duchamp, son premier ready-made (1914). Voilà un objet manufacturé acheté au BHV déclaré ipso facto, oeuvre artistique. L’artiste en a décidé ainsi, le débat n’a pas lieu d’être. On peut faire le parallèle avec la dernière publication sur l’Affaire Seznec et les affirmations définitives qu’elle contient. Souhaitons à notre brillant auteur un succès aussi planétaire que celui de l’ami Marcel… c’est pas gagné.
Sur le blog qui assure l’auto-promotion du nouvel ouvrage, on peut lire une longue réponse à l’article ci-dessus. Chacun pourra juger de la clarté du propos et de la pertinence des réponses faites aux interrogations posées, contentons-nous d’hypothèses fumeuses et de déductions subtiles. A cette heure, Pierre Quéméner est peut-être toujours sur le quai de la gare d’Houdan, personne n’ayant osé le sortir de son profond sommeil.
A la lecture des vagues réponses apportées, on devine que le témoignage de Petit-Guillaume est la clé de voûte du raisonnement. Inutile d’y revenir, il y a deux ans j’ai écrit ici même tout le bien que je pensais de ces souvenirs d’enfant de 12 ans transmis 55 ans après les faits – pendant l’intermède personne n’a vraiment cherché à expliquer comment la cadillac poussive s’était subitement transformée en chenard et walker de course (coïncidence, le dimanche après-midi où Guillaume Seznec ralliait Traon-Velin, l’épreuve des 24h du Mans connaissait son premier vainqueur, à 90km/h de moyenne… soit moins que la moyenne nécessaire pour l’ami Guillaume afin de cadrer avec le témoignage de son fiston!!… cherchez l’erreur).
Quant à la précision sur les sources, n’insistons pas, le lecteur jugera.
Je ne souhaite pas engager une (vaine) conversation avec l’auteur, encore moins une polémique, je le laisse à ses certitudes, mais s’il a l’occasion de lire ces quelques lignes j’aimerais quand même qu’il nous explique quelle est sa version définitive sur la disparition de Pierre Quéméner. J’ai pu observer que son livre précédent est toujours mis en avant par son éditeur, or, sauf erreur de ma part (l’insertion d’un errata est toujours possible) il penche fermement sur une dernière adresse (imprécise) dans les Alpes Mancelles, alors qu’actuellement ce serait plutôt dans la propriété de Traon-Velin ou dans les bois aux alentours. Doit-on attendre un troisième ouvrage pour lever l’ambiguïté ?
Les magistrats en sauront un peu plus sur la situation en Russie en 1921-1923, à défaut de trouver l’ombre d’un début d’élément nouveau permettant de réactiver la procédure.
Je concède que tout ceci est un brin ironique, mais il y a peu l’auteur nous a expliqué que la résolution de l’énigme était évidente, du niveau d’un gamin de CP, or je l’ai bien eu, l’niveau, mais cela fait quand même un bail.
on me signale les contorsions de l’auteur du dernier ouvrage pour faire arriver la torpedo à Traon-Velin avant le départ de Petit-Guillaume pour le collège, un travail d’artiste qui zappe l’arrêt à Vitré vers 13h (plusieurs témoins donnant des détails précis) – reste au minimum 230km avec traversée de Rennes, Lamballe, Saint-Brieuc, Guingamp – pour arriver avant le départ de Petit-Guillaume pour le collège (repas du soir pris au pensionnat), la torpedo doit filer à plus de 60 km/h et n’avoir aucune faiblesse… suffit d’y croire comme pour le reste.