La cassette des dollars-or : oubliée à la terrasse, chez Lombard…

Blanchissez, repassez… ça vaut de l’or...

Après une pause de quelques semaines, nous voici de retour pour évoquer cette fameuse cagnotte de dollars-or. Elle consiste en une somme rondelette, en pièces sonnantes et trébuchantes, amassée grâce à la générosité des officiers US contre du blanchissage et du repassage de qualité. Les Américains campent à Pontanézen de novembre 1917 à  décembre 1919. La blanchisserie du couple Seznec est cédée à Charles Marc, beau-frère de Guillaume Seznec, en septembre 1919. Si l’on considère que le couple Seznec a travaillé pour le corps américain pendant 1 an 1/2, la somme mise de côté correspond environ au chiffre d’affaires dégagé par la blanchisserie pour la même période (on dispose de peu d’éléments chiffrés : le montant déclaré de la cession à Charles Marc et le montant figurant sur l’avis d’imposition, montant évalué par l’administration, le couple Seznec étant fâché avec la paperasse). Marie-Jeanne aurait donc doublé son chiffre d’affaires. Belle performance due essentiellement au travail de Marie-Jeanne et à son entregent, c’est du moins ce que laisse entendre son époux. Cette cagnotte, selon les dires de Marie-Jeanne, est destinée à l’achat d’une maison à l’extérieur de Morlaix.

impots-ca-18Que sait-on d’autre sur ce trésor de guerre ? Rien ou presque. Maître Vérant, notaire à Morlaix, à bien vu quelques dollars-or dans les mains de Guillaume, Julien Legrand, l’ancien maire de Landerneau, en a entendu parler, quelques pièces ont été échangées dans une banque morlaisienne, Mme Labigou, au service du couple Seznec, affirme avoir vu la fameuse cassette et son contenu… et le garçon de table Pansel se souvient (bien) tardivement que l’or de Guillaume Seznec s’étalait en terrasse de l’Hôtel des Voyageurs, rue de Siam, un certain mardi 22 mai 1923.

Alors, peut-on y croire ou est-ce une fable qui vient s’ajouter à celle du trafic des cadillacs ? Disons qu’on voudrait bien y croire, mais c’est bien au-dessus de nos forces.

On peut raisonnablement penser que si ces dollars-or étaient bien réels (du moins pour le montant déclaré), leur perte aurait été, bien entendu, une véritable catastrophe pour la famille Seznec. Or, si l’on observe attentivement les déclarations de Marie-Jeanne à la presse, la correspondance échangée par le couple Seznec (celle rendue publique), on peut déduire que l’évaporation des dollars-or ne marque pas vraiment les esprits. Le sujet n’est jamais évoqué, comme si, en fait, cette fameuse cassette n’avait jamais existé. Attitude qui correspond à une histoire montée de toutes pièces et non à une réalité qui aurait immanquablement suscité bien des lamentations.

Par ailleurs, comment Guillaume Seznec, responsable d’entreprise, aurait-il pu laisser l’affaire Caillet aller à son terme s’il avait eu à sa disposition de quoi arrêter la procédure (1/4 du montant des supposés dollars-or suffisait) et ainsi sauver son établissement. Lorsque Guillaume est arrêté, il sait que la visite inéluctable du prochain huissier à Traon Velin sera redoutable. Il ne peut s’en sortir qu’en réglant la somme correspondant au jugement ou par un dépôt de bilan. C’est en l’occurrence cette  dernière solution qui est choisie, pour gagner du temps et ne pas mettre la famille dans des difficultés insurmontables. C”est la décision prise par Marie-Jeanne, sur les conseils de Maître Belz qui devient le liquidateur judiciaire de la scierie. Guillaume Seznec libre, les choses ne se seraient sans doute pas déroulées différemment.

Lorsqu’on feuillette les documents fournis par les créanciers du couple Seznec, on est ébahi par la méthode de gestion “rigoureuse” suivie à la lettre par Guillaume et Marie-Jeanne. Elle se résume en une phrase : ne jamais payer que… forcé et contraint. Cela concerne aussi bien l’administration fiscale, les fournisseurs d’équipements pour la scierie, le pensionnat pour les enfants… que le vétérinaire, le maréchal-ferrant ou le médecin de famille – personne n’échappe à la règle. Conséquence d’une telle pratique : les huissiers morlaisiens prennent régulièrement la direction de Traon Velin. Où sont les critères qui permettent à Denis Seznec d’affirmer que la scierie était une affaire prospère ? Comment peut-on croire aux dollars-or lorsque les heureux détenteurs empruntent à la bonne de quoi vivre au jour le jour ?

En réalité, la situation financière des Seznec à Traon Velin, en mai 1923, était devenue intenable. En la circonstance, tout bas de laine, cousu d’or ou de fer blanc, aurait été salutaire.

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Le problème dans toute cette affaire, c’est qu’il y a un monde entre ce qui est dit, écrit, tempêté sur les estrades… et la réalité, nettement moins glorieuse. Les dollars-or et le trafic des cadillacs tiennent toujours la corde, 90 ans après les évènements… mais au point d’usure où en est la corde, il devient urgent de changer de stratégie.

 

3 thoughts on “La cassette des dollars-or : oubliée à la terrasse, chez Lombard…

  1. Personne ne peut soutenir que les dollars-or fassent partie de la légende, vous nous énumérez toutes les indications qui l’établissent. Le point litigieux tient au montant lui-même, qui n’était assurément pas de 4.000. On peut croire Quéméneur lorsqu”il déclare à Legrand le 22 mai au soir que Seznec apporte dans l’affaire 40.000 frs, puisque qu’on retrouve la même somme dans les premières déclarations de l’épouse Seznec. Votre remarque est juste, comment une somme pareille a-t-elle pu s’évaporer sans causer les hauts cris ? On peut penser que Seznec, dans la situation difficile où il se trouvait, a misé sur la possibilité d’un gain plus que sur l’utilisation de ses dollars à éponger ses dettes. On sait que la promesse de vente de Traou-Nez était moins une perspective d’achat qu’une garantie pour le versement de Seznec. D’où la question : pourquoi ce type d’acte ? – les témoignages de la maisonnée Seznec vont dans le sens que Quéméneur insistait sur ce point Et beaucoup d’autres sur l’inutile mention manuscrite imitée. .

  2. je soutiens, pour moi c’est une légende – quelques pièces, sans doute, mais une cassette imaginée par le couple Seznec, qui vient remplacer le classique dessous de table qui leur faisait également défaut – on est, selon moi, dans le roman post-disparition de Quéméner

  3. la thèse la plus simple est souvent la meilleure, nous dit Okkam Razor.
    Seznec a monté ce piège pour tuer Quemeneur, attiré par le gain fabuleux du marché imaginaire des Cadillacs, et prendre les 100 000 en cash sur lui. Mais voilà, au dernier moment, Q. n’a pu rassembler la somme, et n’a eu que le chèque du notaire à encaisser à Paris … Il le tue, récupère ses papiers et tente d’encaisser le chèque de 60 000. Mais le chèque n’est pas arrivé, ou égaré en poste restante. Il repasse l’après midi: toujours rien. Seznec n’inciste pas pensant qu’il n’y aura pas de chèque … Que faire ? et si je m’accapare du manoir ?? facile , suffit d’une machine à écrire, imiter sa signature , et voilà. Sauf qu’il fallait établir la promesse de vente en 3 exemplaires et se présenter AVEC Q. devant le conservateur des hypothèques … Un plan foiré, dès le début, par un Seznec très très maladroit.

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